Le Bailliage

Histoire

Puisant ses origines dans le Moyen Age, le terme Bailliage désignait à la fois une division territoriale administrative, et le lieu physique, le bâtiment, d’exercice du pouvoir sur cette région. Le Duc, ou le souverain régnant sur ce territoire, déléguait ses prérogatives locales, administratives, militaires, fiscales et judiciaires au Bailli, l’agent d’autorité du Bailliage – ce qui faisait de lui un personnage essentiel dans la hiérarchie de représentation du pouvoir central du Duc, ou du Roi.

Il n’était pas toujours noble, ce qui pouvait favoriser son indépendance locale. Par le fait, il se heurtait souvent à des intérêts seigneuriaux et ecclésiastiques locaux. Chargé de contrôler les prévôts et de centraliser les revenus domaniaux, il était de plus juge de cour d’appel, et chef militaire.

Il y a donc lieu ici de relater, conjointement, l’histoire de la fonction du Bailli d’Arques, de sa sphère géographique d’influence, et de son imbrication dans l’histoire des familles royales de notre pays. Ainsi que l’origine et le parcours chaotique de l’architecture de la bâtisse, dont le XXIème hérite.

Le Bailliage Royal d’Arques était l’un des quatre sièges du Grand Bailliage de Caux, l’une des juridictions du duché de Normandie, état féodal de 911 à 1469. L’origine du Grand Bailliage de Caux remonterait à Richard Ier, duc de Normandie, vers 942.

Cette organisation territoriale et administrative est remaniée par Philippe Auguste, roi de France, après la prise de la forteresse du château Gaillard et du Duché de Normandie en 1204. Afin de mieux assoir son contrôle administratif, il divise le duché en sept ressorts, ou régions administratives : Rouen, Évreux, Gisors, Caen, le Cotentin, Alençon et le pays de Caux dirigé par le Bailliage d’Arques.

Le siège du Bailliage du pays de Caux fut donc installé à Arques à partir de 1204, jusqu’en 1566, à l’emplacement, et dans une partie des murs existants encore aujourd’hui sur la Place Pierre Desceliers. Ensemble de bâtiments joints, comprenant la résidence du Bailli, la partie Tribunal avec la salle d’audience appelée au Moyen Age la Cohue, et la Maréchalerie, qui abritait la soldatesque et ses chevaux. Sur le plan juridictionnel, les limites du Bailliage correspondaient, peu ou prou, à l’actuel pays de Caux. Le Présidial, la partie Tribunal, fut-elle transférée à Caudebec en 1566.

L’aspect actuel du Bailliage d’Arques est une des conséquences de la lutte acharnée entre Louis XI et Charles Téméraire, pour emporter l’hégémonie sur le territoire de l’actuelle France. En juillet 1472, confronté à son impuissance à emporter la ville de Beauvais, vaillamment défendue par sa population emmenée par son égérie Jeanne Hachette, Charles, dernier Duc de Bourgogne, prend la direction de la Normandie. C’est son premier échec militaire. De dépit et de rage, il pille les récoltes, brûle les villages, et trace un sillon de mort sur son passage. Sa cible suivante est le Château d’Arques. Les remparts lui résistent aussi. Ses troupes brûlent et détruisent partiellement l’église, et le Bailliage.
Louis XI veut le faire reconstruire. Il mandate alors un de ses architectes, Roger Goujon, et lui demande de s’inspirer de sa résidence favorite, le Château de Plessis-Lèz-Tours, lieu de son décès le 30 Aout 1483. Et siège du pouvoir des rois de France sous les règnes de Charles VIII et Louis XII, notamment. Le style des tailleurs de pierre flamands, très sollicités à cette époque pour la réalisation des constructions nobles, se reconnait bien sur les deux bâtisses. Le Bailliage est achevé courant 1483. Quelques éléments demeurent pourtant de la construction originelle du XIIIème siècle.

Diverses péripéties historiques lient le Bailliage d’Arques aux familles royales de France.
René de Cossé, fut Bailli du Pays de Caux, de 1505 à 1540. Devenu de Cossé-Brissac après l’achat, en 1502 du Château de Brissac à Louis de Brézé, Grand Sénéchal, époux de Diane de Poitiers, il aurait reçu « le train du Roi », François 1er, passant par la Picardie, puis la Normandie, après les cérémonies du sacre et du couronnement de la reine Claude à Saint Denis.

Notre Bailli René de Cossé-Brissac, s’est également rapproché au plus près du pouvoir, en épousant une Montmorency par sa mère, une des familles les plus importantes du royaume de France, Charlotte Gouffier de Boisy. Après la terrible défaite de Pavie (1525 – « Tout est perdu, fors l’honneur »), ils firent preuve tous deux de leur dévouement à l’égard de François Ier. Captif en Espagne, de février 1525 à mars 1526, et ne pouvant payer la rançon, il s’échange contre ses deux fils, François et Henri, devenant otages pendant près de quatre ans René de Cossé-Brissac et son épouse Charlotte sont restés auprès des deux enfants pendant trois ans, jouant le rôle de parents adoptifs. Henri deviendra, à la mort de François Ier, le roi Henri II.

Arthur, fils de René de Cossé-Brissac, sera en survivance de son père Grand Bailli de Caux. François Ier, venant s’enquérir de l’avancée des travaux de fortifications du Château d’Arques, logea plusieurs fois au Bailliage en 1544 et 1545.

Au Bailliage d’Arques seront également reçus en octobre 1550 Henri II et Catherine de Médicis, par Arthur de Cossé-Brissac, Grand Bailli de Caux.

Les différents séjours d’Henri IV lui donneront par la suite le nom de « Bailliage d’Henri IV », qui remporta à Arques une bataille décisive pour son règne, le 29 septembre 1589, contre les armées catholiques du Duc de Mayenne.

Perdant progressivement de son importance au profit de la ville de Dieppe, en pleine expansion au XVIIIe siècle (le Bailliage d’Arques siégeant alors à Dieppe), il fut désaffecté à la Révolution de 1789. Il fut ensuite exploité commercialement pour diverses activités comme hôtellerie, l’épicerie, ce qui certainement explique sa survivance jusqu’à nous.

En 1915, Lord Glasgow, assistant du duc de Westminster, récupère le bâtiment dans un piètre état. Il le restaure complètement, créant ou recréant des chiens assis dans la toiture, ajoutant un prolongement à la demeure du Bailli, créant un nouvel escalier, rasant les bâtiments parasites, et en faisant aménager le parc.

Acquis en 1920 par la famille De Foville, qui le conservera jusqu’en 1977, l’aménagement du parc est complété, par différents arbres du Canada, dont des thuyas géants, M. de Foville ayant été ambassadeur de France à Montréal. Madame De Foville fit inscrire le Bailliage à la liste Mérimée des Monuments historiques le 14 avril 1930. Il reste le seul Bailliage encore intact en Normandie.